Fonction publique | Appréciations élogieuses | Classement sans suite | Comportement inapproprié | Consultation de sites internet pornographiques | Déontologie | Différence de traitement | Discipline | Faute | Harcèlement sexuel | Manquement à la probité | Prescription | Procédure pénale | Proportionnalité de la sanction à la faute commise | Révocation | Sanction
Cour administrative d’appel de TOULOUSE, 14 mars 2023, M. C. c/ Commune de MONREDON-DES-CORBIERES, Req. n° 21TL00567
En premier lieu, aux termes de l'article 29 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 applicable à l'espèce : "Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire (...)". Aux termes de l'article 89 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 applicable à l'espèce : "Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : (...) Quatrième groupe : (...) la révocation (...)". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
Tout d’abord, il ressort des pièces du dossier, notamment des déclarations d’une agente, des attestations concordantes de trois de ses collègues et des captures d'écran de leurs téléphones portables, qu’un fonctionnaire, titulaire du grade d’adjoint administratif, a fait preuve d'un comportement irrespectueux et déplacé envers deux de ses collègues féminines, en envoyant sur leur téléphone portable et de manière répétée des messages notamment à connotation sexuelle, et créant à l'encontre de l'une d'elle, qui a d'ailleurs sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle, une situation offensante ayant dégradé ses conditions de travail. La circonstance que la plainte de cette collègue ait été classée sans suite aux motifs que les faits n'ont pu être clairement établis par l'enquête est à cet égard sans incidence dès lors que l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique et non aux décisions de classement sans suite prises par le ministère public, quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées. Ces faits, qui sont établis, sont fautifs, peu important qu'il n'y ait pas de lien hiérarchique entre l’adjoint administratif sanctionné et sa collègue, que la commune n'ait pas tenté de mesure de médiation, ni d'aménagements des emplois du temps pour résorber les difficultés ou encore que la deuxième collègue de l’adjoint administratif sanctionné n'ait jamais entendu dénoncer un harcèlement ou être citée dans son dossier disciplinaire, et sont de nature à justifier une sanction disciplinaire.
Ensuite, il ressort également des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de constat d'huissier dressé le 17 août 2018, des différentes captures d'écran et de l'attestation du 20 août 2018 du gérant de l'entreprise intervenue pour faire face aux difficultés informatiques rencontrées par la commune, que les deux sites les plus consultés sur le poste informatique utilisé par l’adjoint administratif sanctionné sont à caractère pornographique, viennent ensuite des sites marchands et que très peu de sites consultés sur ce poste de travail sont susceptibles d'avoir un caractère professionnel. La seule circonstance qu'un collègue de l’adjoint administratif sanctionné ait eu connaissance des codes permettant de déverrouiller l'accès à son ordinateur, n'est pas par elle-même de nature à établir que l'usage de ce poste de travail ne serait pas du seul fait de l’adjoint administratif sanctionné qui n'apporte aucun élément circonstancié de nature à justifier qu'aux dates et heures de consultation relevées, il n'était pas à son poste de travail. La circonstance que l'opération de vérification des postes de travail intervenue en raison des problèmes informatiques de la commune ait été menée par une autre société que le prestataire habituel de la collectivité ou qu'elle ait été réalisée en l'absence de l’adjoint administratif sanctionné ne saurait, eu égard aux circonstances dans lesquelles elle a été diligentée, être regardée comme ayant été obtenue en recourant à des procédés déloyaux. Cette utilisation fréquente et récurrente à des fins personnelles et sur son temps de travail d'un moyen informatique mis à sa disposition par son employeur est établie. Elle de nature à justifier une sanction disciplinaire, alors même que la commune n'était pas dotée d'un règlement intérieur régissant l'usage des outils informatiques.
Enfin, il ressort des pièces du dossier que l’adjoint administratif sanctionné, chargé de la mise en œuvre des critères de calcul fixés par la délibération du 20 janvier 2010 pour la prise en charge partielle de la consommation d'eau des agents communaux par la commune, en a fait une application fréquemment erronée, notamment en faisant prendre en charge la contribution à la collecte et au traitement des eaux usées ainsi que les financements des organismes publics alors que la participation de la commune ne portait que sur une partie plafonnée de la consommation d'eau et sur l'abonnement annuel du compteur d'eau, mais aussi en faisant prendre en charge par la collectivité un volume de consommation d'eau plus important que celui prévu pour une partie des agents. Il n'est par ailleurs pas établi que ces distorsions seraient imputables à des instructions que l'intéressé aurait reçues de sa hiérarchie. Par ailleurs, l’adjoint administratif sanctionné a bénéficié de cette prise en charge pour sa résidence située hors du territoire communal, alors que la commune fait valoir que l'intéressé était parfaitement informé que la prise en charge était réservée aux agents résidant sur le territoire communal. Si, ainsi qu'il le soutient, la délibération du 20 janvier 2010 n'exclut pas formellement la prise en charge partielle de la consommation d'eau des agents communaux dont la résidence principale est située hors du territoire de la commune, l’adjoint administratif sanctionné ne donne toutefois aucune explication des raisons pour lesquelles il est l'unique agent résidant hors du territoire communal à en avoir bénéficié alors que d'autres agents résidant dans les communes des alentours n'en ont pas été bénéficiaires. Par ailleurs, s'il n'est pas établi que l’adjoint administratif sanctionné ait effectivement bénéficié durant 3 ans de la prise en charge de ses factures d'eau à la fois pour sa résidence principale et sa résidence secondaire, il ne pouvait ignorer les différences de traitement auxquelles il procédait entre les différents agents, ni ne donne aucune indication de nature à expliquer leurs origines. Ces faits ont créé un préjudice financier pour la commune et sont de nature à altérer la confiance de celle-ci en son agent. Ils sont fautifs et de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.
En deuxième lieu, aux termes de l'article 19 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : "Aucune procédure disciplinaire ne peut être engagée au-delà d'un délai de trois ans à compter du jour où l'administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits passibles de sanction. En cas de poursuites pénales exercées à l'encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu'à la décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d'acquittement, de relaxe ou de condamnation. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre de l'agent avant l'expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d'une procédure disciplinaire". Lorsqu'une loi nouvelle institue ainsi, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d'une action disciplinaire dont l'exercice n'était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est applicable aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu'à compter de cette date. Il suit de là que le délai institué par les dispositions précitées a couru, en ce qui concerne les faits antérieurs au 22 avril 2016, date d'entrée en vigueur de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, à compter de cette date.
Si les premiers manquements retenus à l'encontre de l’adjoint administratif sanctionné ont été commis au cours de l'année 2010, il ressort des pièces du dossier que la commune en a eu une connaissance effective au cours de l'année 2018 et a engagé une procédure disciplinaire le 5 décembre 2018, soit moins de trois ans après la date d'entrée en vigueur, le 22 avril 2016, de la règle de prescription introduite par les dispositions de l'article 19 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016. Par suite, le moyen tiré de ce que les faits commis ne peuvent plus être invoqués dans le cadre de la procédure disciplinaire doit être écarté.
Eu égard à la nature de ces faits et de leurs incidences sur le fonctionnement du service, nonobstant les appréciations élogieuses des supérieurs hiérarchiques sur la manière de servir de l'intéressé, ce dernier ayant d'ailleurs bénéficié d'une promotion interne au 1er janvier 2018 et l'absence d'antécédents disciplinaires, la commune de MONREDON-DES-CORBIERES n'a pas pris une sanction disproportionnée en prononçant la révocation de l’adjoint administratif concerné
[Rejet de la requête d’appel]
Avocat Fonction publique | Avocat Droit Administratif
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