Conseil d'Etat, 19 juillet 2023, Mme A. c/ CNRS, Req. n° 462834
Fonction publique | Disponibilité pour convenance personnelle | Emploi vacant | Evaluation | Faute | Lien direct de causalité | Préjudices | Refus illégale | Réintégration de l’agent | Réparation intégrale | Responsabilité administrative
Sur le pourvoi incident du CNRS :
En premier lieu, aux termes de l'article 42 du décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : "La disponibilité est prononcée par arrêté ministériel, soit d'office, soit à la demande de l'intéressé". Aux termes de l'article 44 du même décret : "La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : / (...) b) Pour convenances personnelles : la durée de la disponibilité ne peut, dans ce cas, excéder cinq années ; elle est renouvelable dans la limite d'une durée maximale de dix ans pour l'ensemble de la carrière, à la condition que l'intéressé, au plus tard au terme d'une période de cinq ans de disponibilité, ait accompli, après avoir été réintégré, au moins dix-huit mois de services effectifs continus dans la fonction publique". Aux termes de l'article 49 du même décret : "(...) Trois mois au moins avant l'expiration de la disponibilité, le fonctionnaire fait connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement de la disponibilité ou de réintégrer son corps d'origine. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa du présent article et du respect par l'intéressé, pendant la période de mise en disponibilité, des obligations qui s'imposent à un fonctionnaire même en dehors du service, la réintégration est de droit. / A l'issue de sa disponibilité, l'une des trois premières vacances dans son grade doit être proposée au fonctionnaire. S'il refuse successivement trois postes qui lui sont proposés, il peut être licencié après avis de la commission administrative paritaire. / (...) Le fonctionnaire qui a formulé avant l'expiration de la période de mise en disponibilité une demande de réintégration est maintenu en disponibilité jusqu'à ce qu'un poste lui soit proposé dans les conditions fixées aux deux alinéas précédents (...)".
Il résulte des dispositions précitées qu'un fonctionnaire qui sollicite sa réintégration à l'issue de la période de mise en disponibilité pour convenances personnelles ou sa réintégration anticipée avant cette date a droit d'être réintégré dans son corps d'origine à l'une des trois premières vacances d'un emploi de son grade, sous réserve de la vérification de l'aptitude physique de l'intéressé à l'exercice de ses fonctions et du respect par celui-ci, pendant la période de mise en disponibilité, des obligations qui s'imposent à un fonctionnaire même en dehors du service. Par suite, le moyen tiré de ce que la cour administrative d'appel de Bordeaux aurait commis une erreur de droit en jugeant que le CNRS était tenu de proposer à Mme A..., qui avait demandé à être réintégrée de façon anticipée, les postes éventuellement vacants correspondant à son grade avant l'issue de sa période de disponibilité pour convenances personnelles, ne peut qu'être écarté.
En deuxième lieu, dès lors qu'il appartenait au CNRS de produire des éléments permettant au juge de constater qu'aucune vacance dans son grade ne pouvait lui être proposée, c'est sans dénaturation que la cour a pu estimer, au regard des éléments produits par la requérante, attestant de la vacance de plusieurs postes correspondant à son grade au printemps 2016, et en l'absence de tout élément produit par le CNRS, qu'il n'était pas établi qu'aucun poste vacant correspondant à ce grade ne permettait d'envisager la réintégration de Mme A... à compter du 1er juillet 2016.
En troisième lieu, le fonctionnaire titulaire régulièrement placé, sur sa demande, en position de disponibilité n'a pas rompu le lien qui l'unit a son corps et a donc droit, à l'issue de cette disponibilité, à y être réintégré et pourvu d'un emploi par des mesures qui, lorsque les modalités n'en sont pas définies par les dispositions statutaires qui lui sont applicables, doivent intervenir dans un délai raisonnable. Par suite, en jugeant que le CNRS n'était pas fondé à soutenir que seule était de nature à engager sa responsabilité la méconnaissance de l'obligation de proposer à Mme A... un poste correspondant à son grade dans un délai raisonnable, alors que les dispositions statutaires précitées étaient applicables à Mme A... et faisaient obligation à son administration de lui proposer l'une des trois premières vacances de poste correspondant à son grade, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
Il résulte de ce qui précède que le CNRS n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.
Sur le pourvoi principal de Mme A. :
Juridiquement, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'agent public placé en position de disponibilité a droit à la réparation intégrale des préjudices de toute nature qu'il a effectivement subis du fait du refus illégal de faire droit à sa demande de réintégration et présentant un lien direct de causalité avec l'illégalité commise, y compris au titre de la perte de la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre, à l'exception des primes et indemnités seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions et déduction faite, le cas échéant, du montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction. Il est, le cas échéant, tenu compte des fautes commises par l'intéressé. Lorsque les préjudices causés par cette décision n'ont pas pris fin ou ne sont pas appelés à prendre fin à une date certaine, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, de lui accorder une indemnité versée pour solde de tout compte.
En l’espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le 4 avril 2017 le CNRS a adressé à Mme A... une proposition de réintégration, avec effet au 1er juin 2017, sur un poste correspondant à son grade. Il s'ensuit que les illégalités entachant les décisions de refus de réintégration des 21 mars et 18 juillet 2016, relevées par l'arrêt, n'ont pu ainsi préjudicier à Mme A... au-delà du 1er juin 2017. Par suite, en se fondant sur la seule circonstance que Mme A... n'avait pas demandé l'annulation de ces décisions pour en déduire qu'il lui appartenait d'allouer à cette dernière une indemnisation forfaitaire versée pour solde de tout compte, alors qu'il lui appartenait de lui allouer une indemnisation réparant intégralement les préjudices qu'elle avait subis au cours de cette période, la cour administrative d'appel de Bordeaux a méconnu les principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques et commis une erreur de droit.
[Rejet de l'appel incident du CNRS et sur le pourvoi principal, annulation de l'arrêt avec condamnation au remboursement des frais de justice de l'agent et renvoi, en ce que la cour n'a pas alloué une réparation intégrale]
(Cf également : Conseil d’Etat, Sect. 26 décembre 2013, Commune D’AJACCIO, Req. n° 365155 ; Conseil d’Etat, 22 septembre 2014, Mme DELGADO, Req. n° 365199)
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