Conseil d'Etat, 4 décembre 2023, M. B. c/ SIDEN-SIAN, Req. n° 462867
Fonction publique | Acte fictif ou frauduleux (Non) | Agent contractuel | Emploi de direction Nomination | Emploi permanent | Publication prélable (Oui) | Régie | Régularisation (Non) | Vacance de poste
L’emploi de directeur d'une régie constitue bien un emploi permanent d’une collectivité territoriale ou de l’établissement public territorial, qui doit être créé par l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou de l’établissement public territorial, et, avant d'être pourvu, il doit faire l’objet de la publication d’une vacance préalable, à défaut de quoi, la décision de nomination de l’agent, fonctionnaire ou contractuel, sera jugée illégale et annulée.
Considérant ce qui suit :
Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., fonctionnaire territorial titulaire du grade d'ingénieur en chef, a été placé en position de détachement par le président du syndicat des eaux de Vienne pour une durée de trois ans, à compter du 1er juillet 2019, auprès du syndicat intercommunal de distribution d'eaux du Nord - syndicat intercommunal d'assainissement du Nord (SIDEN-SIAN), syndicat mixte fermé regroupant plus de 700 communes des départements du Nord, du Pas-de-Calais, de l'Aisne et de la Somme. Le SIDEN-SIAN a créé à compter du 1er juillet 2019, en substitution d'une régie personnalisée unique, deux régies dotées de l'autonomie financière et d'une direction commune pour assurer la gestion des services de l'eau (Noreade Eau) et de l'assainissement (Noreade Assainissement). Le comité syndical du SIDEN-SIAN a approuvé, par délibération du 11 juin 2019, la proposition du président de nommer M. B... comme directeur des deux régies. Ce dernier a ensuite été nommé par un arrêté du président du syndicat en date du 28 juin 2019. Par une délibération du 12 juillet 2019, le bureau syndical a validé le contrat de travail de M. B... et a autorisé le président du syndicat à le signer. A la suite d'un courrier du 2 septembre 2019 du préfet du Nord adressé au président du syndicat demandant le retrait de cette délibération ainsi que du contrat de travail, le comité syndical du SIDEN-SIAN a pris une nouvelle délibération le 19 septembre 2019 par laquelle il a notamment créé l'emploi de directeur des régies et fixé la rémunération annuelle du directeur par référence à l'accord d'entreprise du SIDEN-SIAN (délibération n° 21). Par une autre délibération prise le même jour, il a validé le contrat de travail de M. B... et a autorisé le président du syndicat à le signer (délibération n° 22). Dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet du Nord a déféré au tribunal administratif de Lille, d'une part, les délibérations du 12 juillet 2019, le contrat de travail ainsi que les délibérations n° 21 et 22 du 19 septembre 2019 et, d'autre part, l'arrêté du 28 juin 2019 nommant M. B... directeur des régies du SIDEN-SIAN. M. B... se pourvoit en cassation contre les deux arrêts du 3 février 2022 par lesquels la cour administrative d'appel de Douai a rejeté ses appels contre les deux jugements du tribunal administratif de Lille du 24 novembre 2020 annulant tous les actes qui lui avaient été déférés par le préfet du Nord.
Les pourvois de M. B... présentent à juger de questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur les moyens communs aux deux pourvois, relatifs au respect de la procédure de publicité des emplois permanents :
En premier lieu, aux termes de l'article L. 5111-1 du code général des collectivités territoriales : " Les collectivités territoriales peuvent s'associer pour l'exercice de leurs compétences en créant des organismes publics de coopération dans les formes et conditions prévues par la législation en vigueur. / Forment la catégorie des groupements de collectivités territoriales les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes, mentionnés aux articles L. 5711-1 et L. 5721-8 (...) ". Aux termes de l'article L. 5711-1 du même code : " Les syndicats mixtes constitués exclusivement de communes et d'établissements publics de coopération intercommunale (...) sont soumis aux dispositions des chapitres Ier et II du titre Ier du livre II de la présente partie ", ces chapitres énonçant, respectivement, les dispositions communes à tous les établissements publics de coopération intercommunale et celles applicables aux syndicats de communes. Aux termes de l'article L. 2224-11 du même code : " Les services publics d'eau et d'assainissement sont financièrement gérés comme des services à caractère industriel et commercial ". Aux termes de l'article L. 2221-14 du même code : " Les régies dotées de la seule autonomie financière sont créées, et leur organisation administrative et financière déterminée, par délibération du conseil municipal. Elles sont administrées, sous l'autorité du maire et du conseil municipal, par un conseil d'exploitation et un directeur désignés dans les mêmes conditions sur proposition du maire. ". Aux termes de l'article R. 2221-3 du même code : " La régie dotée de la seule autonomie financière est administrée, sous l'autorité du maire et du conseil municipal, par un conseil d'exploitation et son président ainsi qu'un directeur ". Aux termes de l'article R. 2221-67 du même code : " Le maire nomme le directeur dans les conditions prévues à l'article L. 2221-14. Il met fin à ses fonctions dans les mêmes formes " et aux termes de l'article R. 2221-68 du même code : " Le directeur assure le fonctionnement des services de la régie. A cet effet : / 1° Il prépare le budget ; / 2° Il procède, sous l'autorité du maire, aux ventes et aux achats courants, dans les conditions fixées par les statuts ; / 3° Il est remplacé, en cas d'absence ou d'empêchement, par un des fonctionnaires ou employés du service, désigné par le maire après avis du conseil d'exploitation ".
Aux termes de l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents de l'Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont [...] occupés [...] par des fonctionnaires régis par le présent titre. ". Aux termes de l'article 2 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable au litige : " Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux personnes qui, régies par le titre Ier du statut général des fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales, ont été nommées dans un emploi permanent et titularisées dans un grade de la hiérarchie administrative des communes, des départements, des régions ou des établissements publics en relevant, à l'exception des agents comptables des caisses de crédit municipal (...) ". Aux termes de l'article 3-3 de la même loi dans sa rédaction applicable au litige : " Par dérogation au principe énoncé à l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 précitée et sous réserve de l'article 34 de la présente loi, des emplois permanents peuvent être occupés de manière permanente par des agents contractuels dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'il n'existe pas de cadre d'emplois de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions correspondantes ; (...) ". Aux termes de l'article 23-1 de la même loi dans sa rédaction applicable au litige : " Les collectivités et établissements publics mentionnés à l'article 2 sont tenus de communiquer au centre de gestion dans le ressort duquel ils se trouvent : 1° Les créations et vacances d'emplois, à peine d'illégalité des nominations ; / (...). ". Aux termes de l'article 41 de la même loi, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'un emploi permanent est créé ou devient vacant, l'autorité territoriale en informe le centre de gestion compétent qui assure la publicité de cette création ou de cette vacance, à l'exception des emplois susceptibles d'être pourvus exclusivement par voie d'avancement de grade ". Enfin, l'article 47 de la même loi, dans sa rédaction applicable au litige, énumère les différents emplois de direction générale des services des régions, départements, communes, établissements de coopération intercommunale ou établissements publics qui, par dérogation à l'article 41, peuvent être pourvus par la voie du recrutement direct.
D'une part, le directeur d'une régie dotée de la seule autonomie financière assurant la gestion des services publics de l'eau et de l'assainissement, créée dans les conditions prévues par l'article L. 2221-14 du code général des collectivités territoriales, a la qualité, en tant que directeur d'un service public industriel et commercial, d'agent public. L'emploi correspondant, créé par un syndicat mixte relevant de l'article L. 5711-1 du même code satisfait à des besoins permanents, présente ainsi le caractère d'un emploi permanent au sens de l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, et est soumis aux dispositions de la loi du 26 janvier 1984. D'autre part, les dispositions de l'article 41 de la loi 84-53 du 26 janvier 1984, même si elles ne font pas mention de la dérogation prévue par l'article 3-3 de cette même loi au principe selon lequel les emplois permanents ne peuvent être occupés de manière permanente que par des agents titulaires, subordonnent tout recrutement effectué par une collectivité territoriale pour pourvoir un emploi permanent vacant ou nouvellement créé à l'accomplissement de mesures de publicité, y compris lorsque le recrutement d'un agent contractuel est autorisé et envisagé, sous réserve de l'exception prévue pour les emplois énumérés à l'article 47 de la même loi.
Par suite, c'est sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits que la cour administrative d'appel de Douai a jugé que les régies Noreade Eau et Noreade Assainissement, créées par le SIDEN-SIAN, sont des services publics industriels et commerciaux en tant qu'elles sont chargées des services publics de l'eau et de l'assainissement, que leur directeur a la qualité d'agent public et qu'il occupe un emploi permanent. C'est également sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que, à supposer même qu'il n'existe pas de cadre d'emplois correspondant à un tel emploi et que ce dernier relève alors de l'article 3-3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 autorisant le recrutement d'un agent contractuel, ni cette circonstance, ni les spécificités découlant des dispositions des articles L. 2221-14 et R. 2221-67 du code général des collectivités territoriales ne permettaient de déroger, dès lors que l'emploi en cause ne relevait pas de ceux limitativement énumérés par l'article 47 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, à l'obligation de publicité prévue par l'article 41 de cette même loi. C'est sans erreur de droit que la cour, qui n'a pas méconnu la portée des écritures de M. B..., en a déduit que, faute d'avoir informé le centre de gestion compétent de la création de cet emploi afin qu'il en assure la publicité, conformément aux dispositions des articles 23-1 et 41 de la même loi, le SIDEN-SIAN avait méconnu une formalité substantielle de la procédure de recrutement, et qu'étaient de ce fait entachées d'illégalité, d'une part, les deux délibérations validant le contrat de travail de M. B... et autorisant le président du SIDEN-SIAN à le signer, d'autre part, l'arrêté de ce dernier nommant M. B... directeur des deux régies.
En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes des arrêts attaqués que le motif par lequel la cour a jugé que les tâches susceptibles d'être dévolues au directeur des régies chargées des services publics de gestion de l'eau et de l'assainissement pourraient convenir à un agent du cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux présente un caractère surabondant. Dès lors, les moyens des pourvois dirigés contre ce motif sont inopérants.
Sur les moyens propres au pourvoi n°462867 relatifs à la délibération n°21 du 19 septembre 2019 fixant la rémunération de l'emploi de directeur des régies Noreade Eau et Noreade Assainissement :
Aux termes de l'article 34 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable au litige : " Les emplois de chaque collectivité ou établissement sont créés par l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement. / La délibération précise le grade ou, le cas échéant, les grades correspondant à l'emploi créé. Elle indique, le cas échéant, si l'emploi peut également être pourvu par un agent contractuel sur le fondement de l'article 3-3. Dans ce cas, le motif invoqué, la nature des fonctions, les niveaux de recrutement et de rémunération de l'emploi créé sont précisés ". Aux termes de l'article 1-2 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : " Le montant de la rémunération est fixé par l'autorité territoriale en prenant en compte, notamment, les fonctions occupées, la qualification requise pour leur exercice, la qualification détenue par l'agent ainsi que son expérience ". Aux termes de l'article R. 2221-73 du code général des collectivités territoriales : " La rémunération du directeur [d'une régie dotée de la seule autonomie financière, chargée de l'exploitation d'un service public à caractère industriel et commercial] est fixée par le conseil municipal, sur proposition du maire, après avis du conseil d'exploitation ".
Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a annulé la délibération n° 21 du 19 septembre 2019 du comité syndical du SIDEN-SIAN au motif, d'une part, que la rémunération qu'elle prévoyait pour le directeur des deux régies n'avait pas été déterminée conformément aux dispositions de l'article 1-2 du décret n° 88-145du 15 février 1988, d'autre part, que l'octroi à ce directeur d'un véhicule de fonctions ne répondait pas aux conditions prévues par les dispositions législatives régissant l'attribution d'un tel véhicule.
En premier lieu, eu égard aux motifs ainsi retenus par la cour administrative d'appel, M. B... n'est fondé à soutenir ni que celle-ci lui aurait fait porter la charge de la preuve de la légalité de la rémunération déterminée par cette délibération, ni qu'elle aurait exerçé un contrôle approfondi sur le niveau de cette rémunération, ni qu'elle se serait fondée sur les énonciations d'une circulaire du 23 juillet 2001. M. B... ne saurait donc utilement soutenir que la cour administrative d'appel aurait, de ce fait, commis une erreur de droit.
En second lieu, M. B... soutient que la cour a commis une erreur de droit en annulant cette délibération au motif qu'elle était assortie d'un effet rétroactif, et en tout état de cause commis une erreur de droit en l'annulant en tant qu'elle disposait pour l'avenir. Eu égard aux motifs d'annulation retenus par la cour, rappelés au point 9, ce moyen ne peut qu'être écarté dans ses deux branches.
Sur les moyens propres au pourvoi n°462867 relatifs à l'annulation du contrat de M. B... :
Sauf s'il présente un caractère fictif ou frauduleux, le contrat de recrutement d'un agent contractuel de droit public crée des droits au profit de celui-ci. Lorsque le contrat est entaché d'une irrégularité, notamment parce qu'il méconnaît une disposition législative ou réglementaire applicable à la catégorie d'agents dont relève l'agent contractuel en cause, l'administration est tenue de proposer à celui-ci une régularisation de son contrat afin que son exécution puisse se poursuive régulièrement. Si le contrat ne peut être régularisé, il appartient à l'administration, dans la limite des droits résultant du contrat initial, de proposer à l'agent un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi, afin de régulariser sa situation. Si l'intéressé refuse la régularisation de son contrat ou si la régularisation de sa situation, dans les conditions précisées ci-dessus, est impossible, l'administration est tenue de le licencier.
C'est sans erreur de droit et par un arrêt suffisamment motivé que la cour administrative d'appel a jugé que, eu égard au motif d'annulation du contrat de M. B..., tiré de ce que le recrutement de ce dernier n'avait pas été précédé des formalités de publicité préalable requises, ce contrat ne pouvait faire l'objet d'une régularisation, et qu'elle a rejeté pour ce motif les conclusions de M. B... tendant à ce qu'il soit enjoint au SIDEN-SIAN de procéder à une telle régularisation.
Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêts qu'il attaque. Ses pourvois doivent, par suite, être rejetés, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
[Rejet]
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