Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 21 décembre 2023, M. A c/ Ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, Req. n° 22BX00938
Fonction publique | Acte divisible | Acte faisant grief | Acte purement informatif | Acte non décisoire | Décharge de fonction | Délais de recours | Droits de la défense | Forclusion | Mesure conservatoire | Motivation de l’acte | Nouvel affectation | Recevabilité (Non) | Tardiveté
Une lettre en tant qu'elle décide de mettre fin à titre conservatoire aux fonctions exercées par un agent en qualité de responsable de l'unité départementale, fait grief à ce dernier. En revanche, la même lettre, en tant qu'elle informe l’agent de ce qu'une nouvelle affectation lui sera proposée dès publication d'un avis de vacance d'un poste correspondant à son grade constitue un acte purement informatif dépourvu par lui-même de caractère décisoire, et divisible de la décision prise par ailleurs de décharger l'intéressé de ses fonctions.
Considérant ce qui suit :
M. B... A..., directeur adjoint du travail, a été affecté le 28 août 2017 à l'unité départementale de la Dordogne de la direction régionale des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Nouvelle-Aquitaine en qualité de responsable du pôle travail. A la suite de la diffusion, le 12 août 2019, d'un tract syndical contestant les méthodes de management de M. A..., le directeur de l'unité départementale de la Dordogne a lancé, en novembre 2019, une enquête administrative. Les conclusions de cette enquête, selon lesquelles le service de M. A... connaissait d'importants dysfonctionnements à l'origine de souffrances au travail, ont été restituées à ce dernier le 6 février 2020. Le 7 février 2020, le directeur régional de la DIRECCTE a adressé à M. A... un courrier l'informant qu'il était déchargé temporairement de ses fonctions et qu'un nouveau poste lui serait proposé. Par un nouveau courrier du 27 février 2020, le directeur de la DIRECCTE a informé M. A... de sa future affectation sur un poste de directeur adjoint au service " accès et retour à l'emploi " de l'unité départementale de la Dordogne. Enfin, par un arrêté du 2 avril 2020, la ministre du travail a affecté M. A..., à compter du 1er avril 2020, sur un poste de responsable de l'unité de contrôle, responsable sectoriel en pôle 3E.
M. A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler les décisions des 7 et 27 février 2020, ainsi que l'arrêté ministériel du 2 avril 2020. Par un jugement du 2 février 2022, le tribunal a annulé la décision du 7 février 2020 en tant qu'elle déchargeait M. A... de ses fonctions à titre conservatoire et a rejeté, pour irrecevabilité, le surplus de la demande. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre la lettre du 7 février 2020 qui prononçait selon lui son changement d'affectation, la lettre du 27 février 2020 et l'arrêté du 2 avril 2020.
Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne la lettre du 7 février 2020 :
Dans sa lettre du 7 février 2020, le directeur de la DIRECCTE Nouvelle-Aquitaine évoque l'existence de difficultés relationnelles importantes à l'origine de souffrances au sein du pôle travail de l'unité départementale de la Dordogne. Il précise que cette situation le conduit, dans l'intérêt du service, à décharger M. A..., à titre conservatoire, de ses missions de responsable du pôle. Par ailleurs, cette lettre informe M. A... de son affectation prochaine sur un nouveau poste dès publication d'un poste ayant des responsabilités et un grade, équivalents aux siens, et dans sa résidence administrative actuelle et qui fera l'objet d'un arrêté de mutation à établir par le bureau de la DRH ministérielle.
La lettre du 7 février 2020, en tant qu'elle décide de mettre fin à titre conservatoire aux fonctions exercées par M. A... en qualité de responsable de l'unité départementale, fait grief à ce dernier. Dès lors que les premiers juges ont annulé cette décision pour méconnaissance de l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, relative aux droits et obligations des fonctionnaires, ils n'étaient pas tenus, en vertu du principe de l'économie des moyens, de se prononcer sur les autres moyens invoqués par M. A..., et notamment ceux tirés de l'incompétence et de l'absence de communication préalable de son dossier. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché d'une insuffisance de motivation.
La lettre du 7 février 2020, en tant qu'elle informe M. A... de ce qu'une nouvelle affectation lui sera proposée dès publication d'un avis de vacance d'un poste correspondant à son grade, constitue, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, un acte purement informatif dépourvu par lui-même de caractère décisoire, et divisible de la décision prise par ailleurs de décharger l'intéressé de ses fonctions. Par suite, les premiers juges n'ont pas entaché leur décision d'irrégularité en rejetant comme irrecevables les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de la lettre du 7 février 2020 en tant qu'elle l'informait qu'une nouvelle affectation lui serait proposée. Enfin, les règles de recevabilité des recours contentieux devant le juge administratif étant d'ordre public, le tribunal n'a pas commis d'irrégularité en soulevant d'office l'irrecevabilité des conclusions de M. A... dirigées contre la lettre du 7 février 2020, en tant qu'elle l'informait qu'une nouvelle affectation lui serait proposée, après avoir dûment invité ce dernier à présenter ses observations en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.
Enfin, le moyen tiré de la contradiction de motifs, dont serait entaché le jugement attaqué, relève du bien-fondé de celui-ci et non de sa régularité. Au demeurant, il résulte de ce qui précède que la lettre du 7 février 2020 comporte deux objets distincts, de sorte que les premiers juges n'ont pas entaché leur décision d'une contradiction en rejetant comme irrecevables les conclusions dirigées contre la lettre en tant qu'elle informait M. A... qu'une nouvelle affectation lui serait proposée, puis en annulant la décision, contenue dans cette lettre, déchargeant l'intéressé de ses fonctions.
En ce qui concerne la lettre du 27 février 2020 :
La lettre du 27 février 2020 du directeur de la DIRECCTE Nouvelle-Aquitaine informe M. A... qu'il sera affecté sur le poste de directeur adjoint au service " accès et retour à l'emploi " au sein de l'unité départementale de la Dordogne et que le bureau gestionnaire du corps de l'inspection du travail du ministère des affaires sociales prendra un arrêté d'affectation en ce sens. Eu égard à ses termes, la lettre du 27 février 2020 constitue un acte purement informatif dépourvu, par lui-même, de caractère décisoire. Par suite, et alors que la nomination de M. A... sur son nouveau poste n'interviendra qu'avec l'arrêté ministériel du 2 avril 2020, les premiers juges n'ont pas entaché leur décision d'irrégularité en regardant la lettre du 27 février 2020 comme ne faisant pas grief à l'intéressé. Enfin, les règles de recevabilité des recours contentieux étant d'ordre public, les premiers juges n'ont pas davantage commis d'irrégularité en soulevant d'office l'irrecevabilité des conclusions de M. A... dirigées contre la lettre du 27 février 2020, après en avoir dûment informé les parties en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.
En ce qui concerne l'arrêté ministériel du 2 avril 2020 :
Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 2 avril 2020, qui comporte la mention des voies et délais de recours, a été notifié à M. A... par lettre recommandée avec accusé de réception le 9 avril suivant. En application des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, le délai de recours ouvert contre cette décision expirait le 10 juin 2020, soit durant l'état d'urgence sanitaire qui correspondait à la période du 12 mars 2020 au 23 juin 2020 définie à l'article 1er de l'ordonnance n° 202-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire. Aux termes de l'article 2 de la même ordonnance : " Tout (...) recours, action en justice (...) prescrit par la loi ou le règlement à peine de (...) forclusion (...) irrecevabilité (...) qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois (...) ". En application de ces dispositions, M. A... pouvait, sans encourir la tardiveté, contester son arrêté de nomination jusqu'au 23 août 2020. Il ressort des pièces du dossier qu'il a saisi le tribunal administratif de Bordeaux le 3 septembre 2020, soit au-delà du délai de recours contentieux ainsi prolongé.
Par ailleurs, l'arrêté en litige affecte M. A... à l'unité départementale de la Dordogne de la DIRECCTE Nouvelle-Aquitaine pour exercer des fonctions de responsable sectoriel en pôle 3E à compter du 1er avril 2020. Contrairement à ce que soutient le ministre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le poste sur lequel M. A... a été nommé aurait fait l'objet d'un avis de vacance dès lors qu'il ne figure pas sur la liste, produite au dossier, des postes ouverts sur la place de l'emploi public en application de l'article 1er du décret n° 2018-1351 du 28 décembre 2018, relatif à l'obligation de publicité des emplois vacants sur un espace numérique commun aux trois fonctions publiques. Pour autant, l'absence de publication de l'avis de vacance ne suffit pas à établir que l'emploi sur lequel M. A... a été nommé n'existerait pas dès lors qu'une fiche de poste correspondant à cet emploi a été établie et qu'elle décrivait précisément les missions à exercer, à savoir la mise en œuvre de la politique de l'emploi pour les jeunes, le suivi des contrats aidés, l'animation du service public de l'emploi en liaison avec les entreprises et le pilotage du fonds social européen. Si M. A... n'a pas rejoint cette nouvelle affectation, c'est uniquement en raison de son placement en congé pour maladie. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige du 2 avril 2020 constituerait une nomination pour ordre, prohibée par les dispositions du 3ème alinéa de l'article 12 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, frappée d'inexistence, et qu'il pouvait ainsi la contester sans condition de délai.
Enfin, l'arrêté de nomination du 2 avril 2020 ne constitue pas, eu égard à son objet, une mesure d'application de la décision du 7 février 2020 qui avait déchargé M. A... de ses fonctions dans l'intérêt du service. Il ne trouve pas davantage sa base légale dans cette décision. Par suite, M. A... ne peut utilement soutenir que l'annulation de la décision du 7 février 2020, prononcée par les premiers juges, entraînerait l'annulation par voie de conséquence de l'arrêté du 2 avril 2020, sans que puisse être opposée la tardiveté de ses conclusions dirigées contre ce dernier arrêté.
Il résulte de ce qui précède que les premiers juges n'ont pas entaché leur décision d'irrégularité en rejetant comme tardives les conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 2 avril 2020.
Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus de ses demandes.
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