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Sur les contrôles d’identité…

Dernière mise à jour : 12 oct. 2023

Conseil d’Etat, Assemblée du Contentieux, 11 octobre 2023, AMNESTY INTERNATIONAL FRANCE, Req. n° 454836


Droit administratif | Action de groupe | Compétence du juge judiciaires | Contrôles d’identité | Discrimination | Incompétence du juge administratif | Liberté publiques | Prévention des troubles à l’ordre public | Répression de la délinquance


Selon l'arrêt du Conseil d'Etat, la pratique des contrôles d’identité existe et ne se limite pas à des cas isolés. Si elle ne peut être considérée comme "systémique" ou "généralisée", cette pratique constitue néanmoins une discrimination pour les personnes ayant eu à subir un contrôle sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Le Conseil d'État constate néanmoins qu’il ne lui revient pas de procéder à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l’ordre public qui ne relèvent pas des pouvoirs du juge administratif. C’est la raison pour laquelle le Conseil d'État rejette le recours.


Considérant ce qui suit :


1. L’association Amnesty International France et autres demandent au Conseil d’Etat, par une action de groupe fondée sur les articles L. 77-10-1 et suivants du code de justice administrative, d’ordonner à l’Etat de mettre fin au manquement résultant, selon les requérantes, de l’existence d’une pratique généralisée de contrôles d’identité discriminatoires par les forces de police et de gendarmerie ciblant les personnes présentant des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, dits « contrôles au faciès ». Sur le cadre juridique : En ce qui concerne le cadre juridique applicable à l’action de groupe :


2. La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle a introduit dans le titre VII du livre VII du code de justice administrative un chapitre X, relatif à l’action de groupe. Aux termes de l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative : « Sous réserve des dispositions particulières prévues pour chacune de ces actions, le présent chapitre est applicable aux actions suivantes engagées devant le juge administratif : 1° L'action ouverte sur le fondement de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ; 2° L'action ouverte sur le fondement du chapitre XI du présent titre ; 3° L'action ouverte sur le fondement de l'article L. 142-3-1 du code de l'environnement ; 4° L'action ouverte sur le fondement du chapitre III du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique ; 5° L'action ouverte sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ».


3. Les articles L. 77-10-3 et suivants du code de justice administrative définissent les règles communes qui régissent les cinq catégories d’actions de groupe, sous réserve de dispositions législatives particulières à chacune d’entre elles. Aux termes de l’article L. 77-10-3 de ce code : « Lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un dommage causé par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée en justice au vu des cas individuels présentés par le demandeur. / Cette action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit de l'engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d'obtenir la réparation des préjudices subis, soit de ces deux fins ». En vertu de l’article L. 77-10-4 du même code, une action de groupe ne peut être exercée que par une association agréée ou une association régulièrement déclarée depuis cinq ans au moins et dont l'objet statutaire comporte la défense d'intérêts auxquels il a été porté atteinte. L’article L. 77-10-6 du même code dispose que : « Lorsque l'action de groupe tend à la cessation d'un manquement, le juge, s'il constate l'existence de ce manquement, enjoint au défendeur de cesser ou de faire cesser ledit manquement et de prendre, dans un délai qu'il fixe, toutes les mesures utiles à cette fin. Il peut également prononcer une astreinte ».


4. Aux termes de l’article 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : « I. (…) Une association régulièrement déclarée depuis cinq ans au moins intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap peut agir devant une juridiction civile ou administrative afin d'établir que plusieurs personnes physiques font l'objet d'une discrimination directe ou indirecte, au sens de la présente loi ou des dispositions législatives en vigueur, fondée sur un même motif et imputable à une même personne. Peuvent agir aux mêmes fins les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins dont l'objet statutaire comporte la défense d'un intérêt lésé par la discrimination en cause. / L'action peut tendre à la cessation du manquement et, le cas échéant, en cas de manquement, à la réparation des préjudices subis (…) ». Aux termes enfin de l’article 1er de la même loi : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son origine, de son sexe, de sa situation de famille, de sa grossesse, de son apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son patronyme, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, de son état de santé, de sa perte d'autonomie, de son handicap, de ses caractéristiques génétiques, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable (…) / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés./ La discrimination inclut : 1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant (…) ».


5. Il résulte de ces dispositions que, dans les domaines mentionnés à l’article L. 77-10-1 du code de justice administrative, une action de groupe peut être engagée devant le juge administratif, par une association satisfaisant aux conditions prévues par loi, lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent chacune un dommage causé par une personne morale de droit public ou une personne morale de droit privé chargée de la gestion d'un service public et que les dommages ainsi subis trouvent leur cause commune dans un même manquement de cette personne morale à ses obligations légales ou contractuelles. En ce qui concerne l’action ouverte sur le fondement de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, le dommage peut résulter de discriminations directes ou indirectes.


6. L’action de groupe peut tendre soit à la cessation du manquement dans lequel le dommage trouve sa cause, soit à la réparation des préjudices subis, soit à ces deux fins.


7. Lorsque l’action de groupe tend à la réparation des préjudices subis, l'engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage obéit aux conditions de droit commun, notamment à celles tenant au caractère certain du préjudice et à l’existence d’un lien de causalité direct entre le manquement commis et le préjudice allégué.


8. Lorsque l’action de groupe tend à la cessation d’un manquement à des obligations ayant causé un dommage à plusieurs personnes placées dans une situation similaire et susceptible d’engager la responsabilité de son auteur dans les conditions prévues au point 7, il appartient au juge administratif, dans les limites de sa compétence, de caractériser l'existence d’un tel manquement et, si le dommage n’a pas cessé à la date à laquelle il statue, d’enjoindre au défendeur de prendre la ou les mesures nécessaires pour y mettre fin. Cependant, et en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.


9. Il incombe à toute personne morale de droit public, de même qu’à toute personne morale de droit privé chargée de la gestion d’un service public, d’accomplir ses missions dans le respect des règles de droit qui lui sont applicables. Elle doit, à cet effet, faire disparaître de l’ordonnancement juridique les dispositions qui y contreviennent et qui relèvent de sa compétence. Il lui appartient, en outre, de prendre les mesures administratives d’ordre juridique, financier, technique ou organisationnel qu’elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité. Lorsque le juge administratif constate, eu égard notamment à la gravité ou à la récurrence des défaillances relevées, la méconnaissance caractérisée d’une règle de droit dans l’accomplissement de ses missions par la personne morale visée par l’action de groupe et que certaines mesures administratives seraient, de façon directe, certaine et appropriée, de nature à en prévenir la poursuite ou la réitération, il lui revient, dans les limites de sa compétence et sous la réserve mentionnée au point 8, d’apprécier si l’abstention de cette personne de prendre de telles mesures est constitutive d'un manquement. Le manquement peut être regardé comme constitué s’il apparaît au juge qu’au regard de la portée de l’obligation qui pèse sur la personne morale concernée, des mesures déjà prises, des difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, des contraintes liées à l’exécution des missions dont elle a la charge et des moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l’obligation, dont elle devrait se doter, celle-ci est tenue de mettre en œuvre des actions supplémentaires.


10. Lorsque le manquement résultant de l’abstention de la personne concernée est établi et que les conditions fixées par le texte sont réunies, le juge saisi d’une action de groupe lui enjoint d’y mettre fin par toutes mesures utiles. Il appartient normalement aux autorités compétentes de déterminer celles des mesures qui sont les mieux à même d'assurer le respect des règles de droit qui leur sont applicables. Toutefois, le juge peut circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l’instruction a révélé l’existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées, le défendeur conservant la possibilité de justifier de l’intervention, dans le délai qui a lui été imparti, de mesures relevant d’un autre domaine mais ayant un effet au moins équivalent. Enfin, dans l’hypothèse où l’édiction d’une mesure déterminée se révèle, en tout état de cause, indispensable au respect de la règle de droit méconnue et où l’abstention de l'autorité compétente de prendre cette mesure exclurait, dès lors, qu’elle puisse être respectée, il appartient au juge de l’action de groupe d’ordonner à l’auteur du manquement de prendre la mesure considérée.


En ce qui concerne le cadre juridique applicable aux contrôles d’identité :


11. Aux termes de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique. Cette force est donc instituée pour l’avantage de tous (…) ». La force publique est chargée, dans le cadre des lois et règlements, des missions essentielles de protection des personnes et des biens contre les atteintes dont ils peuvent être l’objet, de lutte contre toutes les formes de criminalité et de délinquance et de maintien de l’ordre. Elle joue ainsi un rôle indispensable pour assurer la paix publique. Ses agents doivent exercer leurs missions dans le respect des règles en vigueur et dans une relation de confiance avec la population.


12. Dans le cadre de l’accomplissement de leurs missions, les autorités de police peuvent être amenées à procéder à des contrôles d’identité. Ainsi, aux termes de l’article 78-1 du code de procédure pénale : « L'application des règles prévues par le présent chapitre est soumise au contrôle des autorités judiciaires mentionnées aux articles 12 et 13./ Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants. » Aux termes de l’article 78-2 du même code : « Les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner : - qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;/ -ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;/ -ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit ;/ -ou qu'elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'une mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique, d'une peine ou d'une mesure suivie par le juge de l'application des peines ;/ -ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire./ Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d'identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes./ L'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ». Par sa décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, le Conseil constitutionnel a jugé que la mise en œuvre des contrôles ainsi confiés par la loi aux autorités compétentes ne saurait s’opérer qu’en se fondant sur des critères excluant, dans le strict respect des principes et règles de valeur constitutionnelle, toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.


13. Aux termes de l’article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure : « Lorsque la loi l'autorise à procéder à un contrôle d'identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s'il dispose d'un signalement précis motivant le contrôle (…). »


14. Un contrôle d’identité effectué selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, constitue une discrimination directe au sens des dispositions précitées de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations et crée un dommage pour les personnes qui y sont exposées.


Sur les conclusions de la requête :


En ce qui concerne la compétence du juge administratif :


15. Si l’appréciation de la régularité des contrôles d’identité opérés sur le territoire et la réparation des éventuels préjudices résultant de contrôles d’identité irréguliers relèvent de la compétence de l’autorité judiciaire en application, respectivement, des articles 78-1 du code de procédure pénale et L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, la responsabilité de l’Etat peut également être recherchée devant le juge administratif s’il est soutenu que, par un manquement à ses obligations dans le cadre de ses missions d’organisation du service public judiciaire, il peut être regardé comme ayant contribué directement à la commission de contrôles d’identité irréguliers, notamment en raison de leur caractère discriminatoire.


16. La présente action de groupe tend à faire reconnaître l’existence d’un manquement de l’Etat pour n’avoir pas pris les mesures normatives et organisationnelles de nature à prévenir une pratique « systémique » et « généralisée », selon les termes des requérantes, de contrôles d’identité à caractère discriminatoire. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’une telle action relève de la compétence du juge administratif alors même, comme l’oppose le ministre de l’intérieur, que l’appréciation de la régularité des contrôles d’identité évoqués dans les cas individuels présentés, en application de l’article L. 77-10-3 du code de justice administrative, au soutien de l’action, relève de la compétence du juge judiciaire.


En ce qui concerne la recevabilité de l’action de groupe :


17. En premier lieu, le ministre de l’intérieur fait valoir que les contrôles d’identité discriminatoires allégués par les requérantes seraient imputables, à les supposer établis, à des auteurs différents et non, comme l’exige l’article 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précité, à une même personne. Toutefois, ainsi qu’il a été dit, la présente action ne met pas en cause les manquements commis par les auteurs de contrôles d’identité discriminatoires pris individuellement, mais tend à faire reconnaître qu’en ne prenant pas certaines mesures d’ordre normatif et organisationnel, l’Etat, en tant que responsable de l’organisation du service public judiciaire, a créé les conditions de tels contrôles. La fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance des conditions de l’article 10 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 doit, par suite, être écartée.


18. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 77-10-5 du code de justice administrative : « La requête doit, à peine d'irrecevabilité, préciser dans le délai de recours (…) les cas individuels au vu desquels elle est engagée (…) ». Contrairement à ce que soutient le ministre de l’intérieur, les requérantes présentent plusieurs témoignages nominatifs et circonstanciés faisant état, postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle susvisée ayant instauré la procédure d’action de groupe, de contrôles d’identité que les personnes concernées ont perçus comme étant justifiés uniquement par leur origine ethnique réelle ou supposée. De tels témoignages répondent à la condition de recevabilité fixée à l’article R. 77-10-5 du code de justice administrative.


19. En dernier lieu, le ministre de l’intérieur fait valoir que les contrôles discriminatoires allégués, à les supposer établis, ont pleinement produit leurs effets à l’encontre des membres du groupe invoqué par les requérantes et qu’il n’y a donc plus de manquement à faire cesser. Toutefois, ainsi qu’il a déjà été dit au point 17, le manquement dénoncé par la présente action de groupe n’est pas l’illégalité commise par les agents de l’Etat lors de contrôles d’identité donnés, mais celui, structurel et continu, qui résulterait d’une inaction de l’Etat. Il y avait toujours lieu, à la date d’introduction de la requête, de se prononcer sur l’existence d’un tel manquement. Par suite, la fin de non-recevoir soulevée par le ministre doit être écartée. En ce qui concerne la recevabilité des interventions :


20. En premier lieu, Mme B... déclare agir en sa qualité de rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée. Toutefois, il ne résulte pas des résolutions du Conseil des droits de l’homme A/HRC/RES/7/34 et A/HRC/RES/43/36 qu’elle invoque pour justifier de la recevabilité de son intervention, qui est contestée par le ministre de l’intérieur, qu’elle disposerait en cette qualité de la capacité à ester en justice. Son intervention n’est donc pas recevable.


21. En deuxième lieu, le Conseil national des barreaux, le Syndicat de la magistrature et l’association « Observatoire pour les droits des citoyens itinérants » présentent, au regard de leur objet statutaire, un intérêt à la présente action. Leurs interventions sont par suite recevables.


En ce qui concerne l’existence d’un manquement de l’Etat à ses obligations :


22. Les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire doivent respecter, dans l’accomplissement de leurs missions, l’interdiction de procéder à des contrôles d’identité discriminatoires. La commission de tels contrôles est susceptible, dans chaque cas individuel, d’engager la responsabilité de l’Etat devant le juge judiciaire. Il appartient à l’Etat de prendre toutes mesures administratives utiles d’ordre juridique, financier, technique ou organisationnel pour en prévenir ou limiter la survenance. Il revient au juge administratif, saisi d’une action de groupe tendant à la cessation d’un manquement allégué résultant d’une carence de l’Etat dans la mise en œuvre de telles mesures, de rechercher tout d’abord si l’existence de contrôles d’identité discriminatoires se réduit à des cas isolés ou revêt une ampleur suffisante pour que soit établie une méconnaissance caractérisée de la règle de droit par l’Etat du fait de ses agents.


23. Les requérantes soutiennent qu’il existe au sein des forces de police et de gendarmerie une pratique « systémique » et « généralisée » de contrôles d’identité fondés uniquement sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Ils invoquent notamment la condamnation pour faute lourde dont a fait l’objet l’Etat par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 juin 2021 pour des contrôles d’identité à caractère discriminatoire effectués à la Gare du Nord le 1er mars 2017, un rapport du Défenseur des droits de 2019 selon lequel, notamment, les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont vingt fois plus de probabilité d’être contrôlés que la moyenne des individus, ainsi qu’un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du 28 juin 2022 publié le 21 septembre 2022 s’inquiétant de la persistance de contrôles discriminatoires et de comportements abusifs de la part des forces de l’ordre françaises. Ils produisent par ailleurs des témoignages circonstanciés de plusieurs responsables associatifs faisant état des contrôles d’identité récurrents dont ils font l’objet sans autre motif apparent que leurs caractéristiques physiques, ainsi que de quelques policiers qui évoquent des pratiques consistant à contrôler prioritairement les « personnes perçues comme noires ou arabes ».


24. Ainsi qu’il a été dit au point 22, l’appréciation de la régularité des contrôles d’identité opérés sur le territoire relève de la compétence de l’autorité judiciaire en application de l’article 78-1 du code de procédure pénale. Il en résulte que la seule circonstance qu’un contrôle d’identité soit perçu comme discriminatoire par la personne qui en fait l’objet et, le cas échéant, par des observateurs extérieurs, ne permet pas d’établir avec certitude, en l’absence de décision du juge judiciaire, qu’il présente effectivement un tel caractère. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur fait valoir en défense que le nombre des plaintes enregistrées auprès de l’autorité judiciaire ou sur les plateformes de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale pour des contrôles d’identité discriminatoires est extrêmement faible. Toutefois, il résulte de l’instruction, et notamment d’un rapport du déontologue du ministère de l’intérieur de juillet 2021, que ces données ne permettent pas de rendre compte de l’ampleur des contrôles d’identité susceptibles de recevoir une telle qualification, en raison notamment de la difficulté à en établir la preuve et de la résignation ou du manque d’information des victimes. Compte tenu de l’absence de traçabilité administrative des contrôles d’identité effectués sur le territoire et de l’impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leurs motifs, l’ensemble des témoignages et rapports produits, notamment les études réalisées par le Défenseur des droits, permet de tenir pour suffisamment établie l’existence d’une pratique de contrôles d’identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés. S’ils ne revêtent pas, comme le prétendent les requérantes, un caractère « systémique » ou « généralisé », de tels faits, qui créent un dommage pour les personnes qui y sont exposées, constituent une méconnaissance caractérisée de l’interdiction des pratiques discriminatoires définies à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.


25. Cependant, les requérantes soutiennent que la lutte contre les contrôles d’identité discriminatoires nécessiterait de supprimer la disposition de l’article 78-2 du code de procédure pénale permettant de contrôler l’identité de toute personne dans un but de police administrative, de modifier le même article afin de limiter et de rendre plus objectifs les motifs pouvant justifier les contrôles d’identité de police judiciaire, de créer un régime spécifique pour les mineurs, d’instituer une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la régularité des opérations de contrôle d’identité et de souscrire au protocole additionnel n° 12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elles soutiennent, en outre, qu’il conviendrait d’imposer la remise d’un récépissé de contrôle aux personnes contrôlées ainsi que l’établissement systématique, après chaque opération de contrôle, d’un rapport précisant, notamment, le lieu et la date de l’opération, les nom et matricule des agents étant intervenus, les motifs précis du contrôle et les éventuelles suites qui y ont été données, et la transmission de ces rapports par l’autorité hiérarchique des unités de contrôle au procureur de la République. Elles considèrent enfin que le Gouvernement devrait redéfinir les rapports entre la police et la population, intégrer dans l’évaluation des agents leur propension à se baser sur des stéréotypes, modifier les méthodes et le contenu des formations délivrées aux agents sur les questions de discriminations et renforcer la réponse disciplinaire en cas de plainte pour contrôle d’identité discriminatoire.


26. L’action en manquement dont le Conseil d’Etat a été saisi porte ainsi sur l’abstention des pouvoirs publics, soit, principalement, d’adopter des mesures dont il n’appartient pas au juge administratif de connaître, parce qu’elles touchent aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif ou à la conduite des relations internationales, soit de refondre les dispositifs existants. Ces mesures visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l’ordre public, impliquant notamment des modifications des relations entre les forces de police et l’autorité judiciaire, le cas échéant par l’intervention du législateur, ainsi que l’évolution des relations entre la police et la population. Elles relèvent donc de la détermination d’une politique publique et excèdent par suite, ainsi qu’il a été dit aux points 8 et 9, l’office du juge de l’action de groupe.


27. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la requête des associations Amnesty International France et autres doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.



Avocat Droit Administratif

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