Fonction publique | Absence de décisions attaquée | Echanges contradictoires | Harcèlement moral | Intime conviction du juge | Recevabilité des conclusions à fin d’annulation | Mesure d’instruction utile | Plein contentieux | Présomption de harcèlement | Théorie de la balance
Conseil d'Etat, 22 décembre 2022, Mme B. c/ Centre hospitalier JACQUES LACARIN de VICHY, Req. n° 455173
En premier lieu, en jugeant, d'une part, que le tribunal administratif avait à tort, par son jugement attaqué, annulé les décisions prises à l’encontre de la fonctionnaire depuis le mois de janvier 2017 alors que cette juridiction se trouvait saisie, sur ce point, de conclusions qui, faute d'identifier les décisions attaquées, ne répondaient pas aux exigences de l'article R. 412-1 du code de justice administrative en vertu duquel la requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué, et étaient dès lors irrecevables, la cour administrative d’appel, qui a, par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, statué au fond sur celles des décisions qui étaient explicitement désignées, n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, dénaturé les écritures la fonctionnaire concernée.
En jugeant, d'autre part, que le tribunal administratif avait également à tort annulé une décision implicite de la rétrograder au grade d'ingénieur hospitalier alors que, n'ayant jamais été titulaire du grade de directrice, elle avait conservé son grade d'ingénieur hospitalier et l'exercice de ses fonctions de directrice du système informatique, la cour administrative d’appel n'a pas davantage dénaturé les pièces du dossier.
En deuxième lieu, dans le cadre de l’application de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
En l’espèce, il ressortait des pièces du dossier soumis au juge du fond que la cour administrative d’appel a, tout d'abord, tenu compte des faits présentés par la fonctionnaire concernée comme étant susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre. Elle ainsi retenu que l'intéressée faisait valoir que la réorganisation de la direction de l'établissement et du service informatique qui s'est traduite par la création d'une direction du système d'information distincte de la direction des affaires financières et du contrôle de gestion au sein de laquelle elle était jusqu'alors intégrée, combinée avec l'arrivée d'une directrice avec laquelle elle avait eu un différend dans son précédent poste au Centre hospitalier de JONZAC, l'ayant conduite à demander sa mutation, ont eu pour effet de provoquer une perte sensible de ses responsabilités, son éviction des organes de direction ou de pilotage de l'établissement, la réduction de ses missions au sein de son service, la cessation en particulier de sa participation au pilotage du projet "dossier patient", la perte de ses délégations, son absence d'inscription au tableau des gardes à seule fin de la priver des indemnités mensuelles allouées à ce titre et enfin une invitation non dissimulée à quitter l'établissement. La cour administrative d’appel a ensuite tenu compte des éléments produits par l'administration pour démontrer que les agissements en cause étaient, en l'espèce, justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. Elle a en particulier retenu que la mutation de la fonctionnaire concernée du Centre hospitalier de JONZAC s'inscrivait dans un projet et résultait d'une demande antérieure à la prise de fonctions de la directrice avec laquelle la fonctionnaire concernée avait eu un différend dans son précédent poste, que les modifications d'organisation et de fonctionnement du Centre hospitalier JACQUES LACARIN de VICHY ne la visaient pas personnellement, mais correspondaient, d'une part, à la fin d'une période au cours de laquelle le départ durable de trois directeurs adjoints avait nécessairement mais temporairement conduit à un accroissement de ses responsabilités sous la forme notamment d'une participation aux organes de direction ou de pilotage et d'une inscription au tableau des gardes jusque-là réservée aux agents du grade de directeur, et, d'autre part, procédaient de la mise en place d'un projet de groupement hospitalier de territoire justifiant notamment une mutualisation des services informatiques. La cour administrative d’appel a aussi relevé, au vu des éléments produits, que la fonctionnaire concernée, qui n'avait jamais figuré sur l'organigramme du Centre hospitalier JACQUES LACARIN de VICHY, avait conservé la direction de son service et l'essentiel de ses pouvoirs de gestion ainsi que des délégations qui lui avaient été renouvelées et ne justifiait pas de l'existence des pressions destinées à la faire partir. En estimant ainsi au vu de ces différents éléments, par un arrêt dont la motivation circonstanciée n'est pas entachée d'insuffisance, que les agissements de harcèlement dénoncés n'étaient pas établis, la cour administrative d'appel n'a ni dénaturé les pièces du dossier ni commis d'erreur de qualification juridique.
Commentaire : Il s’agit d’une application de la jurisprudence rendue par la Section du Contentieux du Conseil d’Etat, qui a jugé :
"Considérant, d’une part, qu’il appartient un agent public qui soutient avoir été victime d’agissement constitutif de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptible de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement, qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères de tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile" (Conseil d’Etat, Section, 11 juillet 2011, Mme MONTAUT c/ Commune de GUECELARD, Req. n° 321225).
Le harcèlement moral est une faute d'une gravité extrême. Cependant, il s'agit de la faute la plus complexe voire la plus difficile à démontrer en dépit de la jurisprudence précitée qui institue une présomption de harcèlement.
Avocat Fonction Publique | Avocat Droit Administratif
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