Fonction publique | Charge de la preuve | Dénaturation des pièces du dossier (Oui) | Discipline | Disproportion (Non) | Doute sérieux quant à la légalité de la décision (Non) | Faute | Référé suspension | Rétroactivité de la décision attaquée | Sanction
Conseil d’Etat, 3 mars 2023, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) c/ Mme B., Req. n° 466932

Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision".
L'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 août 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de LA GUYANE a ordonné, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 5 juillet 2022 par laquelle son président a prononcé à l'encontre d’une fonctionnaire la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions avec retenue de traitement pour une durée d'un an à compter du 7 juillet 2022.
Sur le pourvoi en cassation, pour juger qu'il existait un doute sérieux sur la légalité de la sanction prononcée à l'encontre de la fonctionnaire concernée, le juge des référés du tribunal administratif de LA GUYANE a retenu, d'une part, la fixation de sa date d'entrée en vigueur un jour avant sa notification à l'intéressée et, d'autre part, son caractère disproportionné faute pour l'INRAP d'apporter des éléments suffisants "quant à la consistance et au degré de gravité des fautes retenues".
En premier lieu, la circonstance que la sanction contestée comportait une date d'entrée en vigueur fixée au 7 juillet 2022 alors qu'elle n'a été notifiée à la fonctionnaire que le lendemain n'entachait la décision d'illégalité que dans cette mesure. Par suite, l'INRAP était fondé à soutenir que le juge des référés, eu égard à son office, a commis une erreur de droit en jugeant, à la date à laquelle il s'est prononcé, que la rétroactivité partielle entachant la décision contestée était de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité justifiant de suspendre l'exécution de la décision contestée.
En deuxième lieu, en l'absence de disposition législative contraire, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d'établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen, sous réserve du respect de l'obligation de loyauté à laquelle tout employeur public est tenu vis-à-vis de ses agents.
En l’espèce, d'une part, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif que, bien que l'INRAP n'ait pas produit le courrier du 1er février 2022 et le dossier de présentation qui l'accompagnait, adressés par la fonctionnaire concernée et un de ses collèges aux présidents des collectivités territoriales antillaises, sur lesquels il a fondé sa sanction, il en a détaillé de façon très circonstanciée devant le juge des référés les éléments montrant que les intéressés avaient dénigré les délais, les prix et les méthodes de l'institut et proposé aux collectivités antillaises les services d'une nouvelle structure, créée à leur initiative, dénommée "Archéologie Antilles", pour répondre à leurs besoins en matière de diagnostic d'archéologie préventive et de réalisation de fouilles. L'INRAP indiquait, sans être contesté sur ce point, avoir pu consulter ces documents lors d'une réunion qui s'est tenue le 22 février 2022 avec le président de la collectivité territoriale de Martinique, en présence de dix agents et élus nommément cités par le compte-rendu qu'il en a produit, mais que ce dernier s'était opposé à ce qu'il en prenne copie. Face à ces allégations sérieuses, la fonctionnaire concernée, qui admettait avoir envoyé ces documents, à tout le moins à la collectivité martiniquaise, se bornait à soutenir que l'INRAP en avait déformé le contenu, mais sans les produire elle-même alors qu'elle en détenait nécessairement une copie puisqu'elle en était l'une des auteurs.
D'autre part, au soutien de son moyen tiré de la disproportion de la sanction prononcée à son encontre, la fonctionnaire concernée se bornait à invoquer son absence de passé disciplinaire et à contester la matérialité des faits reprochés.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'INRAP était fondé à soutenir que le juge des référés, à qui il appartenait de demander à ladite fonctionnaire de produire le courrier litigieux s'il avait un doute sur son contenu, a dénaturé les pièces du dossier en retenant que les fautes retenues n'étaient pas établies et que le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction prononcée, alors qu'elle n'était pas hors de proportion avec les fautes commises, était de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.
Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, l'INRAP est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque.
Sur le réexamen par le Conseil d’Etat de la demande en référé :
D'une part, aucun des moyens tirés du caractère tardif de la notification de la convocation à l'entretien de ladite fonctionnaire, de l'absence d'objectivité du rapport transmis à la commission de discipline, de l'insuffisance de l'information donnée à cette dernière tant sur les éléments du dossier que sur les motifs ayant conduit l'autorité disciplinaire à ne pas suivre son avis, ainsi que de l'insuffisance de motivation de la décision contestée n'est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la sanction infligée à la requérante.
D'autre part, les moyens tirés de ce que la sanction prononcée serait fondée sur des faits matériellement inexacts ou qu'elle serait disproportionnée ne sont pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.
Enfin, si le moyen tiré du caractère rétroactif de la sanction contestée est susceptible de conduire à son annulation en tant qu'elle prévoit une date d'entrée en vigueur antérieure à celle de sa notification, la décision a été entièrement exécutée dans cette mesure et ne saurait donc être suspendue par le juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
[Annulation de l’ordonnance de référé, rejet de la demande de suspension]
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