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Quand le haut fonctionnaire manque à tous ses devoirs...

Conseil d’Etat, 9 août 2023, M. A. c/ Ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, Req. n° 467978


Fonction publique | Compétence de l’auteur de l’acte | Conseil de discipline (Non) | Délai raisonnable de convocation à l’entretien disciplinaire | Délégation de signature | Déontologie | Détournement de procédure (Non) | Discipline | Droits de la défense | Haut fonctionnaire | Impartialité (Oui) | Manquement graves manquements au devoir de loyauté, de discrétion professionnelle et d'exemplarité (Oui) | Méconnaissance du principe d’égalité (Non) | Mise à la retraite d’office | Ordre de mission (Non) | Procédure disciplinaire | Proportion de la sanction en raison de la gravité de la faute | Sanction | Sous-Préfet hors classe | Suspension


En fait, par un arrêté du 13 septembre 2022 notifié le même jour, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a suspendu M. A..., sous-préfet hors classe, de ses fonctions de conseiller chargé des questions frontalières et de la gouvernance administrative et territoriale au sein de la direction des affaires européennes et internationales de ce ministère pour une durée maximale de quatre mois. Par un courrier du 8 novembre 2022, le requérant a été informé de ce qu'une procédure disciplinaire était engagée à son encontre. Au terme de cette procédure, le Président de la République a, par décret du 26 décembre 2022, prononcé la mise à la retraite d'office de M. A.... Le requérant demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 13 septembre 2022 et du décret du 26 décembre 2022.


[Jonction des deux requêtes pour un jugement commun]


Sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 13 septembre 2022 :


En premier lieu, en ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté attaqué :


Aux termes de l'article L. 531-1 du code général de la fonction publique : "Le fonctionnaire, auteur d'une faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois". Aux termes de l'article L. 532-3 du même code : "Dans la fonction publique de l'Etat, la délégation du pouvoir de nomination emporte celle du pouvoir disciplinaire. / (...) Le pouvoir de prononcer les sanctions du premier et du deuxième [groupe] peut être délégué indépendamment du pouvoir de nomination". Aux termes du premier alinéa de l'article 19 du décret du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets alors en vigueur : "Le pouvoir disciplinaire à l'égard des sous-préfets appartient à l'autorité investie du pouvoir de nomination ; toutefois l'avertissement et le blâme leur sont infligés par le ministre de l'intérieur". Aux termes de l'article 1er du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : "A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...), peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° Les secrétaires généraux des ministères (...)".


Si les dispositions de l'article L. 532-3 du code général de la fonction publique précitées prévoient la possibilité d'une délégation du pouvoir de prononcer les sanctions des premier et deuxième groupes, il ressort des termes de l'article L. 531-1 précité que cette délégation d'une partie du pouvoir disciplinaire implique nécessairement qu'aussi bien l'autorité délégataire que l'autorité délégante détiennent le pouvoir de prononcer la suspension des agents concernés. Par suite, s'agissant des membres du corps des sous-préfets, les dispositions du décret n° 64-260 du 14 mars 1964 précitées autorisent aussi bien le Président de la République que le ministre de l'intérieur à prononcer leur suspension. Dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué, signé au nom du ministre de l'intérieur et des outre-mer par le secrétaire général de ce ministère, lequel disposait d'une délégation de signature en application de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, aurait été pris par une autorité incompétente.


En deuxième lieu, en ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté attaqué :


Tout d’abord, il ressort des pièces du dossier que la suspension de M. A... était motivée par des insubordinations répétées et le refus de rendre compte de son activité, par un séjour en Ukraine effectué du 20 au 27 mai 2021 sur son temps de travail, sans information ni autorisation préalable de sa hiérarchie, par l'altération d'un ordre de mission ainsi que la communication en décembre 2001 de notes diplomatiques à une personne extérieure à l'administration, non habilitée à en connaître. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision de suspension de ses fonctions prononcée à son encontre aurait été fondée sur des faits dont la gravité et la vraisemblance ne seraient pas suffisamment établies.


Ensuite, si M. A... soutient que l'arrêté est entaché d'un détournement de procédure, il ne l'établit pas.


Sur les conclusions tendant à l'annulation du décret du 26 décembre 2022 prononçant la mise à la retraite d'office de M. A... :


En premier lieu, en ce qui concerne la légalité externe du décret attaqué :


Tout d’abord, l'article 18 décret n° 64-260 du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets, dans sa rédaction alors en vigueur, énonce qu'en ce qui concerne les sous-préfets, il est dérogé aux dispositions du statut général de la fonction publique relatives à l'exercice du pouvoir disciplinaire, y compris à celles de ces dispositions qui sont relatives à la tenue du conseil de discipline. Par suite, M. A... ne peut utilement soutenir que la procédure disciplinaire ne se serait pas déroulée dans les conditions prévues par le code général de la fonction publique relatives à la réunion du conseil de discipline.


Ensuite, si M. A... soutient que le choix des membres représentant l'administration dans le cadre de l'entretien contradictoire du 8 décembre 2022 qui a précédé la décision contestée révélait un défaut d'impartialité à son égard en raison de leurs fonctions, il ne ressort pas des pièces du dossier, en particulier du procès-verbal de cette réunion, que le directeur de la modernisation et de l'administration territoriale ou la sous-directrice du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires auraient, lors de cet entretien, manifesté à l'égard de l'intéressé une animosité ou un parti pris révélant un défaut d'impartialité de leur part.


En outre, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'il soutient, M. A... a été mis à même de présenter ses observations dès lors qu'il a pu consulter son dossier le 23 novembre 2022, a bénéficié d'un délai d'un mois pour présenter ses observations entre la convocation à l'entretien disciplinaire qui lui a été notifiée le 10 novembre 2022 et la tenue de celui-ci le 8 décembre suivant et qu'il a présenté des observations après cet entretien, le 13 décembre 2022.


Enfin, d'une part, il ressort des pièces du dossier que la décision d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de M. A... énonçait de manière suffisamment claire et précise les faits qui lui étaient reprochés. D'autre part, il ressort de ces mêmes pièces que la décision d'engager une procédure disciplinaire à son encontre, qui a conduit au prononcé de la sanction de mise à la retraite d'office, a été prise notamment au vu d'un rapport de l'inspection générale de l'administration. Le requérant ne saurait utilement soutenir que la méconnaissance du principe d'impartialité par l'un des auteurs du rapport de l'inspection générale de l'administration, dont la mission ne constitue pas une phase de la procédure disciplinaire, affecterait la régularité de cette procédure et entacherait d'illégalité le décret attaqué.


En deuxième lieu, en ce qui concerne la légalité interne du décret attaqué :


Tout d’abord, M. A... soutient à l'appui de sa contestation de la sanction que l'article 18 du décret du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets méconnaîtrait le principe d'égalité entre les sous-préfets hors classe et les administrateurs de l'Etat en excluant les premiers du droit syndical, du droit de grève et de diverses garanties relatives au déroulement de la procédure disciplinaire. Toutefois, d'une part, la décision litigieuse ne fait pas application des dispositions de ce décret relatives aux droits syndical ou de grève. D'autre part, les dispositions du décret du 29 juillet 1964 ne sauraient avoir pour objet ou pour effet de déroger, en ce qui concerne les sous-préfets, au principe général du droit selon lequel une sanction ne peut être légalement prononcée à l'égard d'un agent public sans que l'intéressé ait été mis en mesure de présenter utilement sa défense et dont, ainsi qu'il a été dit, il a été fait application à M. A....


Ensuite, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.


Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de l'inspection générale de l'administration, que M. A... s'est rendu en Ukraine du 20 au 27 mai 2021 sur son temps de travail sans y être habilité et sans en avoir demandé l'autorisation préalable à son chef de service, sans même l'en avoir informé préalablement. Par ailleurs, M. A... a transmis à son épouse, experte juridique internationale pour le compte d'une entreprise privée, des notes diplomatiques et plusieurs documents de travail du ministère de l'intérieur. Il a par ailleurs procédé à la falsification d'un ordre de mission et supprimé plusieurs milliers de documents sur le serveur informatique de sa direction d'administration centrale. M. A... a en outre présenté, par l'entremise de son épouse, sa candidature en vue de participer à une mission d'assistance technique à Sint-Maarten, sans en avertir au préalable sa hiérarchie ni solliciter son autorisation à cette fin. Enfin, il ressort de ces mêmes pièces que l'intéressé a refusé de manière réitérée de se conformer aux règles d'organisation du service, allant jusqu'à exercer son droit de retrait de manière abusive. L'accumulation de ces faits, qui ne sont pas sérieusement contestés, constituent de la part d'un haut-fonctionnaire expérimenté, de graves manquements au devoir de loyauté, de discrétion professionnelle et d'exemplarité.


En outre, si M. A... soutient que la décision qu'il attaque serait entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle confèrerait à la décision d'affectation du 11 juin 2021 un caractère rétroactif, il n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.


Enfin, les détournements de procédure allégués ne sont pas établis.


Eu égard à ce qui précède, d'une part, en estimant que les faits reprochés au requérant constituaient des fautes de nature à justifier une sanction, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire ne les a pas inexactement qualifiés. D'autre part, eu égard à la nature de ces faits, et de la méconnaissance qu'ils traduisent, de la part de M. A..., des responsabilités qui étaient les siennes, et compte tenu, enfin, du caractère répété des manquements relevés, l'autorité disciplinaire n'a pas, en l'espèce, pris une sanction disproportionnée en décidant de mettre l'intéressé à la retraite d'office.


[Rejet des requêtes]



Avocat Fonction Publique | Avocat Droit Administratif

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